Nom féminin
Fixation de l'esprit.
Obnubilation
est un dérivé d'obnubiler, verbe venant du latin obnubilare
signifiant " couvrir de nuages " (véridique). De nos jours,
le verbe s'emploie surtout au sens figuré. Même au Tréport, les
vieux snobs désœuvrés disent de moins en moins souvent : " Tiens,
le ciel s'obnubile au-dessus de la plage ". Il est en effet
fort désuet d'utiliser ce verbe au sens littéral sur le littoral.
L'obnubilation s'attaque
aux cerveaux fragiles. Utilisant avec malignité la fatigue ou les
angoisses du sujet contaminé, elle attire l'attention de son esprit
sur une idée-concept-objet d'apparence bénigne mais qui se cristallise
peu à peu dans sa conscience. Dès lors, le piège se referme. Le
pauvre quidam qui se rebiffe en essayant de penser à autre chose
qu'à cette idée-concept-objet qui se cristallise verra rapidement
son esprit englué à nouveau dans cette idée-concept-objet qui se
cristallise. Une fois sa perfide toile d'araignée tissée, l'obnubilation
cherche sournoisement à neutraliser toute idée nouvelle qui a tendance
à s'écarter de cette idée-concept-objet qui se cristallise. Dans
les cas les plus graves, le sujet est contraint de fixer son attention
de manière quasi-exclusive sur cette idée-concept-objet qui se cristallise.
En se sens que l'obnubilation n'est pas foncièrement rigolote, on
peut dire qu'elle est pathologique, étant donné qu'elle ramène toujours
à la même idée-concept-objet qui se cristallise.
L'obnubilation est répétitive.
Ses manifestations sont souvent prévisibles par l'entourage du sujet
obnubilé. Par imprégnation subtile et accoutumance atmosphérique,
l'obnubilation est très contagieuse. Quand ils tentent de s'opposer
à l'idée fixe d'un de leur proche, de nombreux individus développent
une contre-obnubilation qui se révèle tout aussi dangereuse que
l'originale. L'histoire qui suit en est un témoignage édifiant :
Edouard Mouchabœuf est obnubilé par les Arabes. L'origine de cette
fixation névrotique est indéterminée, mais son cas, bien que très
curieux, ne semblerait pas si rare que ça d'après les spécialistes.
Son obnubilation se manifeste par l'émission via son orifice buccal
de quelques phrases répétées à l'identique quand les circonstances
lui semblent favorables :
- " Les Arabes prennent le travail de tous les Français de souche
angevine "
- " Les Arabes ne prennent pas de douche pendant le ramadan
"
- " Qui a des genoux pointus ? Les Arabes (*)...
"
Yvette Mouchabœuf, sa femme, n'a pas les mêmes opinions que son
mari. Mais elle l'aime quand même car il a des bons côtés : par
exemple, le gauche. Il réussit aussi très bien le tournedos à la
sauce madère. Néanmoins, pour éviter que l'obnubilation du mari
ne s'étende et vienne gâcher leurs douces heures conjugales, Madame
s'interdit désormais de préparer du couscous, du taboulé ou même
du mouton. Et même si ça finit par donner des boutons, tous les
jours, elle fait du cochon. Elle sait décrypter chez son mari les
moindres signes d'exaspération légère. Un frémissement de la narine,
un raidissement imperceptible du cou, lui font redouter la venue
d'une terrible crise de délire obsessionnel. En bonne cuisinière,
Mme Mouchabœuf sait qu'il faut réduire les gaz sous la Cocotte-Minute
quand la soupape rotate en faisant pshhhhhiii de plus en plus fort
au point qu'on n'entend plus les blagues des " grosses têtes " à
la radio.
- " Mon mari c'est pareil, pense-t-elle : il est sous pression.
Si on augmente le débit du gaz, les flammes sont plus vives. Plus
de flammes, plus de chaleur en augmentation constante dans la cocotte.
Plus de chaleur en augmentation constante dans la cocotte, plus
de pression qui s'accumule et qui risque de faire exploser la cocotte.
Quelle horreur, ça projetterai de la soupe sur les murs et même
au plafond. Voyons, où en étais-je ? se demande Mme Mouchabœuf.
Et si je prenais plutôt la comparaison de l'essoreuse à salade
? Non, je n'ai plus le temps : Edouard rentre bientôt et il faut
encore laver et éplucher les pommes de terre... Récapitulons...
Le feu sous la cocotte correspond aux petites provocations journalières
qui font bouillir mon époux trop sensible. C'est comme une allergie.
Il faut couper le gaz, supprimer le pollen, et le calme reviendra...
"
En présence de son mari,
Mme Mouchabœuf surveille donc son langage : elle évite soigneusement
tous les mots ou allusions ayant un quelconque rapport avec le monde
arabe ou musulman. Ni elle, ni Monsieur ne saisissent d'ailleurs
clairement la différence entre ces deux termes. Abonnée à " Découvertes
d'ici " et " Psychologies périgourdines " qu'elle a la
chance de recevoir dans la boîte aux lettres quand son Edouard est
encore au travail, Madame découpe minutieusement les articles et
photos à contenus sensibles, cibles susceptibles d'irascibles éclats.
Par exemple un reportage sur la vie des touaregs, une publicité
vantant la Tunisie ou la recette du lapin aux dattes. Elle brûle
tout cela dans la cheminée ou le cache dans une boîte de conserve
vide qu'elle aplatit ensuite avec un marteau et met tout au fond
de la poubelle. Mais, se faisant, Mme Mouchabœuf place Monsieur
en état de manque car l'obnubilation est une drogue. Elle oblige
le pauvre homme à traquer sans cesse dans les détails les plus élémentaires
de la vie quotidienne le carburant qui alimente son fantasme obnubilatoire.
Jusqu'au jour où Mme Mouchabœuf est obligée d'effacer au blanco
les numéros des pages de tous les livres de la bibliothèque pour
les remplacer par des chiffres latins ! On mesure ainsi le mécanisme
pervers et contagieux de l'obnubilation : Mme Mouchabœuf, dans la
louable intention d'arracher son mari d'une obsession maladive,
développe à son tour une obnubilation aussi grave, sinon plus, que
l'originale.
Et, quand Alexandrine
Mouchabœuf, rebaptisée Edwige quinze jours après sa naissance, entreprend
de guérir radicalement ses parents en leur annonçant qu'elle va
se fiancer avec un certain Ahmed Mustaffa, elle ne réalise pas à
quel degré d'apoplexie elle plonge ses braves géniteurs.
- " Ben quoi, Mustaffa c'est aussi joli que Mouchabœuf non ?
"
Et, pour taquiner ses parents qui restent bouche bée, pétrifiés,
Edwige en rajoute une louche :
- " C'est un garçon adorable qui fait des études pour être ingénieur.
De sa bouche sensuelle, il me parle des trésors subtils de sa culture
et de la beauté des z'arts z'arabes. Leur civilisation nous a souvent
devancé dans l'histoire. On leur doit les chiffres, les chevaux
pur-sang, les terres labourables. Et en philosophie musulmane, ce
sont les meilleurs. "
Edwige provoque un peu bien sûr, mais elle ne le fait pas méchamment.
Elle a l'esprit espiègle propre aux jeunes filles et la foi juvénile
qui lui fait croire qu'on peut changer le monde avec des idées.
Méfie-toi, naïve enfant ! As-tu réellement pris la mesure de ton
adversaire ? Dans ton combat contre l'obnubilation insidieuse qui
mine tes parents, te rends-tu compte qu'il te faut infiniment de
temps et de patience pour triompher. Prends garde de n'être contaminée
à ton tour par l'obnubilation ! La plus sournoise étant l'idée fixe
de convaincre ton père de porter la djellaba, même si c'est plus
seyant pour aller à la plage. De toute façon, aller à la plage est
devenu inutile, le ciel s'y obnubile.
En conclusion, nous
insisterons une dernière fois sur le danger potentiel de l'obnubilation,
même banale. Par son patient travail de sape et les multiples ramifications
qu'elle engendre dans l'entourage, l'obnubilation peut, si l'on
n'y prend garde, faire écrouler des pans entiers de la structure
psychique collective d'une famille, d'un groupe ou d'une nation.
Qui sait si la troisième guerre mondiale n'aura pour origine un
type obnubilé par un dé à coudre mal usiné. Cette pensée affreuse
nous obsédant chaque jour davantage, l'équipe de la rédaction a
décidé à l'unanimité de s'accorder un jour de congé. Pour en profiter
au mieux, nous partirons à la plage dès que le ciel sera désobnubilé.
*
N.d.l.r. : Il va de soi que nous ne partageons absolument pas ce
genre de délires. A ce qu'il paraît, ceux-ci sont colportés par
des individus issus de croisements honteux et impensables entre
Alsaciens et Basques. A moins que ce ne soit entre Berrichons et
Bretons. (retour)