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Force est de constater la disparition du jeton sur les armoiries des grandes familles aristocratiques
 

JETON

Nom masculin en règle générale et féminin en cas d'orage.

Petite pièce métallique souvent en plastique, plus rarement en bois, exceptionnellement en macramé.

Les jetons sont en principe ronds, ce qui accentue leur ressemblance avec les pièces de monnaie et les rondelles de carottes. Est-ce un hasard ? Non ! Car le rond est le symbole glorieux et éternel du Pouvoir (pour la clarté de l'exposé, laissons de côté les carottes). Ainsi les pièces de monnaie - qui donnent entre autre le pouvoir d'acheter des carottes - sont rondes. Par ailleurs, les mots "pouvoir" et "hotorité" ont chacun deux majestueux "o" tout rond. Le fait est indéniable : le rond est chargé de Pouvoir. C'est pourquoi Louis XIV se faisait appeler roi-soleil car il avait finement observé que le soleil, "sans qui les choses ne seraient que ce qu'elles sont (1)", était rond. Ainsi donc et subséquemment, le jeton, c'est du Pouvoir. Le Pouvoir pour son heureux propriétaire d'accéder à un Droit. Le Droit d'obtenir un Service ou un Bien en échange du jeton. Remarquez comme tout se tient admirablement. Mais n'oublions pas que pour obtenir un jeton, il faut la plupart du temps donner une ou plusieurs pièces de monnaie. C'est ce qui a fait dire à Jean Namass que : "... le jeton est l'interface communicative la plus élémentaire entre le porte-monnaie et la machine à café (2)"

Hélas, souvent le jeton se discrédite. Quand, par exemple, il est ingurgité par une machine bruyante qui éclabousse vos chaussures de café brûlant parce qu'il n'y a plus de gobelets. Au fil des siècles, le jeton perd peu à peu de son prestige. A l'heure actuelle, il a quasiment disparu des emblèmes et armoiries des familles aristocratiques (voir illustration). Sans vouloir dire du mal du jeton, car tel n'est pas notre intention, force est pourtant de constater son principal défaut : il est loin d'être universel. C'est ce que nous montre cette anecdote tirée des carnets de voyage d'Henri de Montreuil, "De Dunkerque à Bayonne en automobile, en évitant la Suisse".

" Mardi 28 Avril. Mes économies s'amenuisent. Je me rends compte de la bévue que j'ai commise à Amiens en achetant un lot de 50 jetons en promotion pour laver, lustrer, cirer et sécher mon véhicule. Ce matin, le garagiste de Remiremont m'a expliqué qu'ils ne sont utilisables que sur les laveuses automatiques Rexon n° 642. Ce modèle a été abandonné par la plupart des concessionnaires à cause de sa tendance à tomber en panne au moment de la phase shampooing. Mes diverses tentatives pour échanger ces jetons contre un plein d'essence, voire un simple sandwich sans cornichon, se sont pour l'instant révélées infructueuses. Comble d'ironie, mon véhicule est désormais couvert de boue à la suite d'un croisement mal négocié avec un tracteur (je me suis perdu dans les champs ce matin en empruntant un raccourci mentionné sur la carte). Ce soir, le moral n'est pas excellent. Pourtant, je garde toujours espoir de dénicher prochainement un petit garage de campagne encore équipé d'une laveuse Rexon 642... "

L'économiste Edouard Gratut a théorisé ce genre d'effet pervers dans un axiome demeuré célèbre : "La pièce de monnaie est au jeton ce que le passe-partout est à la clé du buffet de ma charcutière". Edouard Gratut pointe ainsi du doigt l'arrogante spécialisation suicidaire du jeton face à l'universalité conquérante de la monnaie. Attitude suicidaire en effet, car le jeton est une espèce en voie de disparition, inadaptée au monde moderne. Une simple constatation nous en convaincra : pourquoi échanger des pièces de monnaie contre un jeton, puis introduire ce jeton dans une cireuse automatique pour lustrer ses chaussures imbibées de café ? Ne peut-on court-circuiter ce long processus ? Avoir enfin le courage d'entamer les intérêts d'un puissant groupe de pression (3) ? Il est temps de proclamer : "Jetons les jetons !". De toute façon, les avancées techniques sont désormais telles, que les jetons, sentant leur fin prochaine, ont les... miquettes. Depuis de nombreuses années, de brillants ingénieurs anticonformistes ont mis au point de nouvelles machines à monnaie. Mais avant d'aller plus loin, il s'avère ici utile d'expliquer plus en détail à nos courageux lecteurs les deux principes de fonctionnement régissant, d'une part les antiques machines à jeton, d'autres part les machines à monnaie. Ainsi, et comme nous l'espérons, le lecteur non averti pourra de lui-même mesurer le formidable bond technologique accompli et s'exclamer : "Ben dis donc ! C'est beau le progrès".

Fonctionnement des machines à jetons
L'automatisme est simple, voir simplet (mais restons impartiaux : ne sourions pas). Ces machines ne savent reconnaître, parmi la splendide diversité des innombrables formes qui peuplent l'univers, qu'une seule forme : celle d'un certain type de jeton bien particulier. Ainsi, quand le bon jeton est introduit dans la fente d'une de ces machines, il provoque chez celle-ci un stimulus que nous appellerons par convention "petit a". En réponse à ce stimulus, la machine réagit par toute une série d'automatismes programmés et s'exécute de bonne grâce sans même réclamer de pourboire. Par contre, si un mauvais jeton provoque le stimulus "petit b", la machine cherche désespérément dans son programme quelle attitude adopter. Par suite d'emballement à vide sur information erronée, elle développe un stress électronique exponentiel qui peut la faire tomber en panne, voire même, en dernière extrémité, la faire exploser.

Fonctionnement des machines à monnaie
La principale différence avec les machines à jetons réside dans le fait que les machines à monnaie savent reconnaître, outre le stimulus "petit a", les stimuli "petit b", "petit tas", "petit abbé", "grand vicaire", "évêque", etc. Il suffit d'associer à chacune des pièces de monnaie en circulation un stimulus particulier, et le tour est joué ! Ces machines sont ainsi capables de reconnaître la monnaie aussi bien que ma charcutière (4). Ajoutons-y un micro-ordinateur (pas à la charcutière, cela va sans dire), et voici ces merveilles de technologie capables d'additionner, soustraire, rendre la monnaie, gérer leur trésorerie via Internet... Certaines affichent même d'un ton placide sur leur écran à cristaux liquides : "Désolé, je n'ai plus de monnaie. Aussi, je vous suggère de rester jusqu'à 23 h 54 pour profiter au maximum de votre place de parking". Autre avantage de ces machines, on ne peut pas les soudoyer. Et inutile d'essayer leur refiler de la fausse monnaie, elles acceptent déjà difficilement la vraie.

 

1 : Edmond Rostand (retour)

2 : Jean Namass, " Tout savoir sur tout ou comment briller en société en dix leçons " - Editions Dubois (retour)

3 : Le lobby des fabriquants de jetons (n.d.l.r.) (retour)

4 : Après enquête, ce n'est pas la même charcutière que celle d'Edouard Gratut (voir début de l'article) (retour)

 

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