Sommaire Bébert

Vue en coupe de l'idiolecte Shadock,
dramatiquement limité à quatre mots :
"Ga, Bu, Zo, Meu"

 

IDIOLECTE

Nom masculin d'origine assez récente (comparativement au mot caillou par exemple).

Ensemble des habitudes verbales d'un individu.

Exemple : soit X et W, deux individus pris parfaitement au hasard sur notre planisphère. L'un (admettons que ce soit X) est issu d'une population préalablement mélangée d'indiens Jivaros. L'autre (W) est choisi parmi les membres du comité des fêtes de Castelsarrasin à cause de sa grosse moustache. Pour la clarté de l'exposé, débaptisons W et renommons le Y. Bien. Mettons en présence X et Y sans les avoir présentés l'un à l'autre. Eclipsons-nous après avoir enclenché un magnétophone discrètement caché sous le cendrier. L'analyse attentive de la bande magnétique révèle que la conversation des deux individus X et Y dépasse rarement la minute, voire les 60 secondes bien tassées. Il ne s'agit certes pas de timidité. Nous sommes bien obligés d'admettre l'évidence, X et Y ne partagent pas le même ensemble d'habitudes verbales. Autrement dit, ils n'ont pas le même idiolecte.

Origine des idiolectes
D'où vient l'idiolecte d'un individu ? Certains pensent qu'il s'acquiert dès le plus jeune âge et dépend de la famille d'origine, de son milieu culturel et de la langue communément parlée dans la communauté humaine environnante. C'est là une hypothèse très hardie mais néanmoins intéressante, c'est pourquoi nous la mentionnons. De manière plus établie, notamment par l'école de psychanalyse de Vienne, les idiolectes viennent de tendances latentes refoulées vie-haine. Etudions, si vous le voulez bien, trois cas cliniques rapportés par l'éminent linguiste Seila Koniva. Ils vous permettront de mieux saisir l'essence de ce subtil mécanisme.

Premier cas clinique : Monsieur T. dont nous respecterons l'anonymat et qui, prénommé Marcel, habite 4 rue des fauvettes 63100 Clermont-Ferrand, ponctue toutes ses phrases de la formule " n'est-ce-pas ? ". Dans le beau monde, il va jusqu'à dire : " n'est-il pas vrai ? ".
Il exprime ainsi, inconsciemment n'en doutons pas, l'irrésolution qu'il cultive envers son propre jugement. De même que le toutou réclame la pattée que son maître lui donne avec prodigalité, Monsieur T. (qui habite où vous savez), avec ses " n'est-ce-pas ? ", quémande sans cesse l'approbation de ses congénères pour se rassurer. La seule différence, c'est qu'il ne remue pas la queue en même temps (c'est à ces menus détails que l'on mesure la supériorité des hommes sur nos amis à quatre pattes).

Deuxième cas clinique : Monsieur H. G. de La M. P. emploie en toute circonstance un langage tellement alambiqué que peu de personnes arrivent vraiment à le comprendre, bien que beaucoup l'écoutent en opinant du chef d'un air grave. Outre une façon d'ériger des barrières sociales, c'est une manière d'élocution dont abusent certains intellectuels pour combler le silence inquiétant de leur mortel ennui. Mais ne généralisons pas, car " tout charabia n'est pas forcément galimatias ". Si vous ne comprenez pas votre interlocuteur, avant de le cataloguer comme emmerdeur chichiteux, assurez-vous d'abord qu'il ne s'exprime pas dans une langue étrangère.

Troisième cas clinique : Monsieur Z. X. est mécanicien. A l'atelier, il s'exclame au moins trois fois par jour : " Putain de bordel de merde de chierie de casserole " . Cette expression, qui jette toujours un froid dans ce modeste atelier ouvert aux quatre vents, survient chaque fois que le sujet reçoit une giclée d'huile sale dans l'œil. Par ces mots sans manière, Monsieur Z. X. fait entrevoir à ses compagnons de travail, de manière pudiquement détournée, l'immensité de son sentiment d'angoisse existentielle. Ainsi, pourrait-il tout aussi bien dire, mais l'osera-t-il un jour :
" La vie a-t-elle un sens ? Est-ce un mauvais présage ? Est-ce un avertissement divin ? Ou est-ce que c'est ce putain de flexible qui est encore percé ? "

 

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